Sorya

Regard tendre et vif, visage large et ouvert, un grand sourire chaleureux, cheveux noirs, la voix très douce, et un français impeccable. Pourtant, Sorya doute encore un peu, et profite de notre présence pour continuer son apprentissage, demandant régulièrement « on dit bien comme ça en français ? ».

Sorya est guide touristique francophone à Siem Reap. Elle travaille quand son mari, guide anglophone, n’accompagne pas de touristes et peut ainsi s’occuper de leur jeune fils. Elle porte très joliment son uniforme de guide officiel : pantalon foncé et chemise orange avec l’écusson de guide. Parfois, elle glisse une fleur d’orchidée derrière son oreille, et alors son sourire joyeux et son regard pétillant sont un cadeau pour la journée.

Elle est incollable sur la civilisation Khmer et nous explique avec beaucoup de détails les fresques murales, les bas-reliefs, les Apsaras, la couleur des pierres. On la suit docilement sur tous les sites qui sont des témoignages des civilisations khmers enfouies. Dociles certes, mais très concentrés sur la prise de photos et de notes ! Pas question de louper le moindre détail !

Toujours attentive et bienveillante, Sorya fait partie de ces rencontres précieuses qu’on n’oublie pas. Même quand elle nous raconte l’histoire de sa famille sous le régime des Khmers rouges, en partie miraculeusement épargnée, elle reste calme.

17 avril 1975 : les soldats des Forces Armées Populaires de Libération Nationale du Kampuchéa (FAPLNK, nom officiel des troupes khmères rouges) entrent dans Phnom Penh. Ils donnent l’ordre d’évacuer la ville sous le prétexte d’éviter un bombardement de celle-ci par les Etats-Unis. Les Khmers font croire aux habitants que c’est pour quelques jours seulement, et quand certains osent protester ou résister, ils les menacent. Il y avait beaucoup de réfugiés à Phnom Penh venus pour échapper à la guerre. Près de 20 000 personnes trouveront la mort au cours de cette évacuation fondée sur un énorme mensonge. Les gens sont partis dans la précipitation sans prendre de vivres, et ils doivent marcher sous le soleil pendant des jours avant d’atteindre leurs destinations.

Pour les citadins qui survivront à cet exode, une vie extrêmement dure les attend à la campagne, où ils sont censés revenir aux vraies valeurs de la vie. Ils auraient été trop privilégiés en ville tandis que les paysans faisaient les plus durs travaux. Certains survivent aux humiliations. D’autres non. On comprend à travers le récit de cet évènement déclencheur d’un des plus grands génocides de l’histoire de l’humanité, l’ampleur de la tragédie vécue par le peuple cambodgien.

Sorya nous raconte ces évènements dans un moment calme lors de notre balade en bateau sur le lac Tonlé Sap. Nous sommes loin de tout. Léger clapotis de l’eau. Étendue du lac à l’infini. Villages flottants d’une beauté tranquille. A une grande distance du stress de la vie occidentale, de nos petits tracas quotidiens qui nous semblent alors tellement minuscules.

Le traumatisme vécu par les Cambodgiens durant toutes ces années est saisissant. J’avais vu ces évènements affreux à la télévision, mais j’étais trop jeune pour en comprendre la véritable ampleur inhumaine. Ce voyage permet de prendre conscience de la souffrance du pays que nous trouvons si beau et si calme aujourd’hui. Il est important de se souvenir. On comprend que la famille de Sorya a vécu l’horreur, et cela nous bouleverse.

Sorya est une jeune femme active qui adore son métier de guide. C’est un puits de connaissances historiques sur les civilisations glorieuses du passé Khmer. C’est en me fondant sur ses récits que je vais écrire les articles qui suivent sur Angkor.

Nous avons été totalement enchantés par ces quelques jours en compagnie de Sorya. Les filles ont gardé précieusement les petits oiseaux confectionnés avec des petits billets cambodgiens. J’espère que, si un jour tu lis ces lignes, tu te souviendras de ces moments.

Mille mercis à toi, Sorya.